jeudi 28 février 2013

FB février 2013




Pour bien commencer la journée: un peu de lectures



Inculper, instituteur, mademoiselle, race, maternelle, etc.

Patrick a une nouvelle amie mais se demande si elle ne va pas se fâcher dans les cinq minutes…

«J’en ai aimé d’autres que toi, j’en aimerai d’autres. Je ne saurai qu’à l’heure de ma mort laquelle a été ma préférée» (dans un film de Wong Kar-wai)

J’espère que mes amis FB vont bien, parce que du côté des IRL ce n’est pas la grande forme.
Et de tout cœur un très bon anniversaire à la mère de mes enfants! (#BouteilleMer — 2/2/13)

«Or si c’est bien Homen qui écrit Roman Roi et la suite, ainsi que vous le prétendez, comment peut-il être assassiné en plein Roman Furieux, et le livre se poursuivre, alors, comme si de rien n’était?»

Oxymore: 2 février, j’ai acheté du beaujolais nouveau.

Un exemple: le pauvre, ça fait trente-cinq ans qu’il ne provoque plus rien du tout; et enfin il a son diplôme. Seigneur, délivrez-nous de cette génération de conservateurs gâteux.

Quel monde! On ne s’y retrouve plus. C’est un Chinois qui tient la sandwicherie grecque à Cloyes

La section “culturelle” du journal télévisé de FR3 région Centre révèle que nous sommes dans une région à la pointe: les spectacles et les artistes présentés sont toujours “décalés”. Tellement qu’on se surprend à souhaiter enfin des œuvres convenues, banales. Lesquelles somme toute seraient le comble de l’originalité.

T’as 46 amis sur fb, moi j’en ai 114, Tralala!

La France orange mécanique. Je ne sais quoi penser de ce livre. Ou plutôt si. J’ai cru comprendre que sa conclusion était “désagréable” (à mes oreilles). D’autre part Marine Le Pen en a dit du bien. Donc…
Toujours est-il que voici un livre qui expose certains problèmes de société, qui est parmi les meilleures ventes (au même niveau que Johnny), mais dont les médias nationaux (hormis de courts articles du Point et des Échos sur Internet) ne parlent pas, refusent de parler, eux qui sont si prompts à répéter ce que tous leurs collègues répètent. Si j’en parle ici, à mon corps défendant, c’est que j’en suis arrivé à considérer qu’il s’agit d’une loi du silence bien comprise entre tous.
(Je ne l’ai pas lu, je ne le lirai pas. Et je n’en ai que peu à faire.)
Si j’en parle ici, on va me considérer comme ceci, que je ne suis pas. 
Et si je n’en parle pas, je resterai mal à l’aise en silence à ronchonner tout seul.
Dans les deux cas je suis coincé.

Citations du jour.
Lu chez Philippe Didion, de Philip Kerr:

«L’histoire de l’Allemagne n’est rien de plus qu’une série de moustaches ridicules.»
Lu chez RC, de Chateaubriand:

«Jadis, j’étais fort lié avec mon corps.»

La neige, mince couche ce matin, s’est transformée en pluie, et soudain tous les oiseaux du jardin se mettent à chanter de joie!

«Я полюбила Вас,
Анна Ахматова.» Марина Цветаева, 11 février 1915.

Patrick enfile les lieux communs comme on enfile des perles sur le fil d’un collier.

Mots de M:

«J’ai tellement de dettes que j’ai pas besoin de payer un loyer pour dépenser tous mes sous.»

«Rappelle-moi plus tard parce que j’ai tellement faim que je n’arrive pas à t’écouter.»

J’ai regardé iTélé, eh bien c’est encore plus bête que BFM Télé.

Sylvain Bourmeau, Nicolas Demorand, François Bégaudeau, les tristes pitres qui jouissent de leurs petits pouvoirs. On n’en peut plus.

De mon temps, dis-je, vieux schnock, le monde m’apparaissait neuf, les idées fusaient, tout bougeait, partout. J’ai cru que la vie était cela. Et puis, et puis, vers la fin des années 70, ça s’est arrêté, ça a commencé à se répéter, et ça continue, ça n’en finit pas… quarante ans plus tard. A-t-on jamais vu pareille stagnation. Et ils sont là, ils ont fait des petits clones, ils sont dans les journaux, à la télé, dans le cinéma, ils nous expliquent qu’ils font de l’art, que la littérature, c’est eux, faisant croire qu’ils sont à l’avant-garde (toujours la même, celle d’il y a cinquante ans), réussissant même à le faire croire. Ils provoquent, croient-ils. Subversifs, ils en sont persuadés. Anti-réactionnaires, bien sûr, mais s’il y a un mot qui peut leur être appliqué c’est bien celui de conservatisme.

Au sortir des rêves, à peine éveillé, une phrase s’impose souvent, bizarre, absurde. Aujourd’hui:
 «On n’entend plus beaucoup l’adagio d’Albinoni.»

Tu veux du vraiment décalé, du déjanté, de l’original, de l’exotique, de l’anticonformiste, de l’atypique, tu veux de la différence: lis donc les premiers romans de Troyat et ceux de Maurice Genevoix.

À la télévision, à la météo, pour ne pas offusquer nos concitoyens d’une autre religion, ni scandaliser nos amis les laïcs, on ne dit plus “demain nous fêterons la Saint-Cyrille” mais “demain nous fêterons les Kevin”. Si bien qu’il ne reste plus qu’un saint bien présent, sur nos écrans et ailleurs: Valentin!
J’oubliais, le mien! Saint-Patrick ne s’est jamais aussi bien porté — dans les irish pubs.

J’aime bien une de mes amies fb. Mais là je doute un peu de ce qu’elle annonce: une nouvelle revue “belle et intelligente” qui va paraître et se présente ainsi:
«L’ambition de We Demain est inédite. La revue veut non seulement contribuer au décodage des bouleversements en cours, mais encore être le support des remises en question, des initiatives innovantes qui permettront d’affronter et de retourner à l’avantage de l’humanité cette crise…»

Entre les photos du Nouvel Obs pour dire “stop à Bachar-al-Assad” et celles des gagnants du World Press Photo 2013…

Pitié!

Je suis désolé de passer encore pour un vieux bougon, mais je trouve ces quinze timbres nuls. Ils ne savent plus rien faire. Même pas des timbres. À choisir? (C’est Hollande qui choisira.)



Si nous n’avions pas d’oreilles le travail des coiffeurs serait beaucoup simplifié (c’était la pensée du jour).

«Ces ballots de Libé sont comme le ravi de la crèche qu’un rien stupéfie, ils ne savent pas que c’est en latin, comme chez Jean Sébastien Bach, qu’on parle à Dieu. Ces enfantillages où l’infantilisme le dispute comme toujours à l’ignorance et à la haine…» (in Revue des Deux Mondes)

Mon commentaire préféré: «Patrick, vous êtes mimi sur votre banc.» [Depuis, cette amie fb s’est fâchée.]

Chaque nuit, alors que nous dormons et que tous les appareils sont éteints (sauf la pompe à chaleur), l’électricité saute. Si bien que je me réveille avec dans la tête une question philosophique majeure: y a-t-il des événements sans cause?

Le pdg américain: «Bientôt, en France, il n’y aura plus d’emplois et tout le monde passera la journée assis dans les cafés à boire du vin rouge.»
Je lui réponds: «Justement mon pote! c’est ça qu’on veut!»

«Ce qu’il y a de créatif, d’artistique chez Dominique Strauss-Kahn, de beau, appartient au cochon et non pas à l’homme. L’homme est affreux, le cochon est merveilleux même s’il est un cochon. C’est un artiste des égouts, un poète de l’abjection et de la saleté.» (Marcela Iacub).

Tellement las de ces vains débats que je vais me réfugier dans ma tour et me pencher sur l’opérateur (nabla). (Je ne me souvenais même plus qu’il existait celui-là.)

«David Guetta & Jean-Claude Gaudin, Marcela Iacub & Laurent Joffrin, Maurice Taylor, Gérard Depardieu: l’émission Groland n’a plus aucune raison d’exister, étant largement dépassée par la réalité.» (PB)

«Vivre, lourdement lesté, le moment présent.» (?)

On est samedi et je constate que contrairement aux coutumes convenues mes amis fb sont réveillés avant moi.

«Donne-moi plusieurs vies.»

«C’est une Panhard»

Aucun de mes amis fb ne l’a jamais mis en lien. Vu 1 348 072 242 de fois sur youtube (un milliard et quelques…). Et en ce qui me concerne entendu des centaines de fois dans la salle de sport. Là j’ai envie d’embêter mon monde.

La phrase du réveil: «Ces fausses rumeurs, ce sont de vrais prétextes.» (Je dois être influencé malgré moi par l’actualité.)

Incroyable. Marie-Claire Alain est morte hier soir. Le journal Libération annonce qu’il va faire un numéro spécial (“au moins vingt pages”, a dit mon ami Demorand ce matin dans le poste).

Les conneries ça commence à bien faire!


«À la fin de son interview, il lance: “Aujourd’hui nous pouvons constater ceci : la souplesse de la politique d’occupation allemande permettait, à la fin de la guerre encore, une politique culturelle d’ouverture. Il était permis à Paris de jouer des pièces de Jean-Paul Sartre ou d’écouter Juliette Gréco.”

Et d’ajouter : “Si je peux oser une comparaison audacieuse sur un sujet qui me touche, j’affirme ceci: l’occupation allemande était, si on la compare par exemple avec l’occupation actuelle de la Palestine par les Israéliens, une occupation relativement inoffensive, abstraction faite d’éléments d’exception comme les incarcérations, les internements et les exécutions, ainsi que le vol d’oeuvres d’art. Tout cela était terrible. Mais il s’agissait d’une politique d’occupation qui voulait agir positivement et de ce fait nous rendait à nous, résistants, le travail si difficile.”» (Médiapart)

C’était déjà un enfant pénible:


«Helen: “Aujourd’hui c’est Uli le premier.”

Kadi: “je veux être le premier.”

Helen: “La prochaine fois ce sera toi — aujourd’hui tu es le second.”

Kadi: “Veux pas être second — je veux être le premier.” — Il pleure.»

La pensée du matin: il s’en est fallu de peu de jours pour que je ne sois pas le contemporain de Bernanos. (Ça nous rajeunit tout ça…) Sinon, j’ai rêvé de Z. (La monnaie de sa pièce.)

Imaginons qu’André Vingt-Trois soit élu et qu’il choisisse comme nom Jean.



mercredi 27 février 2013

Un rêve avec Z



PZ me pose une devinette: 
«Quelle est l’étoile du système solaire qui porte le même nom que la troisième lettre de l’alphabet?
— D? lui dis-je en matière de plaisanterie.
— Ne fais pas l’idiot. C’est la planète Cé!»
(Je me fais la réflexion qu'il confond un peu les substantifs “étoile” et “planète”.)

Puis: 
«Sais-tu que l’on peut prendre des photos avec un camembert?»
Il m’en fait la démonstration. Il prend une portion de fromage, la tient à deux mains, tend les bras, presse le fromage entre ses doigts:
«Hop! tu vois, ça fait un autoportrait.»

Enfin:
Nous visitons une exposition. Il y a des tableaux représentant des poissons dont les corps sont des feuilles mortes. Il m’explique que ce sont de grandes œuvres peintes par… (ici le nom d’un personnage célèbre que je n’ai pas retenu — mais ce n’est pas un peintre).


samedi 23 février 2013

Enfantillages


Ce soir à l’hôtel-Dieu.

La pensionnaire: Éteignez la lumière.
L’aide-soignant: il manque le petit mot magique.
La pensionnaire: S’il vous plaît.
L’aide-soignant: C’est mieux.

La voisine rentre dans la chambre qu’elle occupe avec ma mère et m’aperçoit: Qu’est-ce qu’il fait là?
Ma mère: Il ne reste pas coucher.
La voisine soulagée: Ah!

Je pars.
Ma mère: À demain.
Je réponds: À demain.

Je sais que je n’irai pas la voir les trois prochains soirs. Je mens.

(Elle ne se rappellera plus, qu’en as-tu à faire?
Je sais qu'elle ne se rappellera pas. Je mens. J’en ai à faire. Je mens.)


Morale truffaldienne



«L’activité des hommes me paraît toujours puérile, complètement enfantine; je les vois dans les avions, c’est là que ça me démoralise, je ne vois que des hommes d’affaires avec des petites valises ridicules et je me demande toujours ce qu’ils vont faire. On sent bien que leur activité est dérisoire; tandis que l’essentiel, le mouvement de la vie continue, c’est à la fois la vie quotidienne dans ce qu’elle a de vraiment quotidien, la soupe à faire, la lessive, et en même temps la vie dans ce qu’elle a d’exceptionnel, qui est la continuité par les enfants, et tout ça, c’est la femme; alors finalement, tout ce qui se passe entre les deux — entre faire la cuisine et faire les enfants — ne sert pas à grand-chose.»


«Je ne fais rien […]. Je ne fais aucun effort dans ce sens-là car j’ai additionné des refus successifs, je voyais tout ce qui existe dans la vie comme une concurrence au cinéma, c’est-à-dire que je détestais le théâtre parce que c’était un concurrent au cinéma, mais pour la même raison je n’allais pas aux sports d’hiver, je ne sais pas skier, je ne sais pas nager, je ne sais rien faire; je n’irai pas regarder une course, ni un match, ni quoi que ce soit, parce que j’aurais l’impression de trahir le cinéma. Je n’aurais pas l’idée d’aller à la chasse, ni à la pêche, ni à quoi que ce soit. J’ai changé d’idée avec le temps, je suis plus tolérant, j’accepte que les autres aillent à la pêche, à la chasse, ou fassent du ski, mais moi-même je ne participe pas, non.»


Aline Desjardins, entretiens avec François Truffaut, 1971


vendredi 22 février 2013

Encore des bêtes, des baisers et autres liens


Je ne fais pas de fixation particulière sur un animal, narval ou autre chien, mais j'aime particulièrement les marmottes.

Un événement qui donne de l’espoir: certains Tunisiens, en dépit de leurs multiples préoccupations, trouvent encore le temps de se pencher sur l’œuvre de Giono.

Les Chinois aussi, sont formidables: James Joyce best-seller.

Pendant ce temps-là, en France, à Abbeville, c'est une autre paire de manche.

Et si vous n'aimez pas qu’on vous lèche la pomme… Xoxo



«C'est la joie de Pâques! On s’embrasse, on s’enlace. Le baiser de paix donne lieu à un grand remue-ménage pendant lequel chacun met un point d’honneur à serrer dans ses bras la moitié de l’assistance. Beaucoup de bruit, beaucoup de joie. Ici, Pâques a un surnom: le “carnaval de l’Alléluia”!»  
En Amazonie, in Charles Guilhamon, Sur les traces des chrétiens oubliés






Vu Mariage à l’italienne, Le Pigeon (très drôle, j'ai attendu quarante ans avant d’accepter de le voir à cause de son titre (I soliti ignoti en italien)), Le Marchand de Venise (de Michael Radford), deux fois Le Marchand de Venise de la BBC (j’ai du mal avec l’anglais), deux fois La Cenerentolaénergisant absolu»), lu le Cours de philosophie en six heures et quart.




mardi 19 février 2013

Oui, spécieux


«J’ajoute ceci, qui pourra paraître spécieux, mais que je crois parfaitement exact: c’est que nombre d'hétérosexuels, soit par timidité, soit par demi-impuissance, se comportent en face de l’autre sexe comme des femmes et, dans une conjugaison en apparence normale, jouent le rôle de véritables invertis. L’on serait tenté de les appeler des lesbiens. Oserai-je dire que je les crois très nombreux?»
Gide, Journal, tome 1, page 671

(Parfois, je me sens visé…)

Trouvé sur l’excellent blog consacré à Gide

(Aujourd’hui 62e anniversaire de la mort de Gide.)



dimanche 17 février 2013

Mollet, mollassonne



Que dire, rien. La vie est triste. Il ne se passe rien. Seule mince anecdote, madame Deuxpieds se fait rabrouer dans les couloirs par l’aide-soignante puis par l’infirmière. Elle tient dans ses deux mains l’assiette et les couverts sales de sa voisine de chambre qu’elle veut emporter à l’office. «Vous n’avez pas le droit, nous allons passer les chercher» crie maladroitement l’aide-soignante du fond du couloir; «mon chariot ne transporte que des médicaments» dit l’infirmière. (À quoi reconnaît-on une infirmière? Elle a un ordinateur sur son chariot.) L’infirmière pénètre dans une chambre, l’autre est loin et occupée. «Vite, vite» dis-je à madame Deuxpieds, elle s’éclipse dans le couloir transversal. Elle fonce vers l’office, elle se retourne et me fait un clin d’œil, amusée par la situation.
Ma mère et sa voisine sont étendues sur leur lit dans le noir. Elles ont l’air de dormir, mais s’éveillent tout de suite alors que j’entre sans bruit. Elles prétendent toutes les deux qu’elles ont passé toute l’après-midi comme ça. Je ne sais pas. Ma mère est triste, molle, elle ne mange qu’un petit quart de son assiette d’œufs mollets sauce tomate haricots verts. Je suis obligé de lui enfourner dans la bouche les cuillers de danette au praliné. Elle n’a pas envie de tendre le bras jusqu’au pot de plastique, et puis je dois le lui tenir car il ne tient pas bien en équilibre, pourquoi donc ces pots sont-ils évasés vers le haut?
Depuis des jours et des jours, elle me regarde longuement avec des airs de chien battu. Elle scrute mon regard comme si elle allait y lire son destin.
Que je reste longtemps ou pas ne change rien: il faut à un moment ou à un autre partir. Dès que je rentre dans cette chambre, et même dès que je décide d’aller la voir, je crée inéluctablement cet événement à venir qui va nous faire souffrir: la séparation.
Puis à nouveau les rues désertes, je croise des ombres. On m’attend à la maison, mais non, on ne m’attend pas, on ne peut partager cela avec moi, et c’est tant mieux pour eux, heureusement. Je ne suis pas si mauvais, je ne veux pas partager avec eux, laissons les rire, pour partager il y a ici.



Pathologiques (du temps qu’on se lavait pas tous les jours)


Extraits d’un roman des années trente. Je laisse mes nombreux lecteurs chercher l’auteur. (Google Book donne la solution.) Je ne commente pas.


«Le vert de cette salade ne te rappelle rien, chérie?
— Non.
— Le manteau du donateur dans ce petit tableau que nous avons tellement aimé, à Venise !
— C’est vrai ! Tu es extraordinaire chéri ! C’était de qui, déjà?»


«Comme il se penchait sur la jeune fille, il s’aperçut que les ongles de ses orteils étaient passés au carmin. Cette remarque leva inexplicablement son dernier scrupule.»


«Une langue vive caressa la sienne. Il avait l’impression de manger un mets répugnant. Il voulait s’écarter, cracher cette masse caoutchouteuse qui lui emplissait la bouche.»


«Et il rêvait à cet organisme complexe de la femme, à cet éveil progressif du désir en elle, à ce mûrissement sournois de leurs entrailles et de leurs formes. Une gamine végète au plus touffu de la famille, innocente, ignorée, épargnée de tout et de tous, mais il suffit que ses traits s’allongent, que sa taille se hausse, que s’enfle un peu son corsage, et déjà les hommes s’occupent d’elle, rôdent autour d’elle, reconnaissent en elle une bête à leur goût, l’appellent dans leur enclos, la pourchassent, l’atteignent… Ah! cette phrase perfide: «Quel âge a-t-elle donc maintenant? Seize ans? Elle en paraît dix-neuf!…»  Tout est permis. Et elle-même s’en montre ravie. Elle est folle de batailler, de se donner, de souffrir. Le premier qui l’accoste est le bienvenu. C’est de propos arrêté qu’elle refuse de le voir dans sa laideur et dans son mensonge. Elle veut aimer, vite, n’importe qui, pour n’importe quoi, mais que ce soit de toutes ses forces. Le monde est grotesque, puant, méchant jusqu’à la nausée. N’est-il pas affreux de penser qu’après une longue visite d’un ami, d’une maîtresse, il faut tout de même ouvrir la fenêtre parce que la chambre sent mauvais. Mais nul ne le remarque et n’en souffre. Il y a chez les hommes, chez les femmes, une immonde complaisance pour ce qu’ils ne peuvent éviter. Les odeurs, les besoins physiques, les maladies ne tuent pas le sentiment; on ferme les yeux, autour de lui. Il avait l’impression, parfois, qu’on ne l’avait pas endormi pour subir l’interminable opération de la vie. Une anesthésie soigneuse émoussait les douleurs des autres. lui seul était éveillé, lucide, les chairs et l’esprit à vif. Le moindre attouchement le faisait hurler. Oui, ce qui lui manquait pour accepter l’existence, c’était ce narcotique précieux dont ses «semblables» étaient saouls comme des brutes. Et ce narcotique était l’amour. L’amour seul pouvait produire leur soumission à toutes les hideurs, leur sommeil artificiel au centre du monde.»


Liturgie


«Le Brevarium monasticum… pro Congregationi gallici ordinis S. B. a été édité à Tournai en 4 volumes pour la Société de st Jean l’Évangéliste par Desclée Lefebvre et Cie. Vous trouverez là en effet un monde de la plus haute poésie, mais pour le comprendre complètement il ne suffit pas de lire çà et là, il faut s’astreindre à suivre tout un office suivant le cour des heures, par exemple celui de l’Assomption. Puis si magnifique que soit ce recueil, il ne faut pas oublier qu’il n’est qu’une partie solidaire de l’énorme édifice de la Liturgie, le Missel, l’Antiphonaire, le Rituel, le Pontifical. Jamais une telle cathédrale n’a été élevée à la gloire de Dieu. Le tort des Jésuites, que je respecte d’ailleurs de tout mon cœur, a été de faire oublier ce magnifique sanctuaire pour lui substituer de petites dévotions d’ailleurs fort belles en elles-mêmes. C’est l’art du joaillier substitué à celui de l’architecte. Ce qu’il y a de curieux dans la poésie sacrée qui anime les paroles des livres saints et les dispose toutes préparées pour nous en un drame éternel, c’est de voir combien elle s’apparente aux arts congénères de la chrétienté. Comme le mosaïste prend de petits cubes d’or et le verrier de petits morceaux de verre pour en composer des œuvres nouvelles et merveilleuses, ainsi le poëte énorme qu’est l’Église catholique a pris partout des fragments des Pères, de la Bible, des Légendaires, des poëtes pour en faire une construction vivante où toutes les richesses de l’univers sont harmonieusement employées dans un hymne de gloire au Créateur.»

Lettre de Claudel à Suarès (9 octobre 1910)


samedi 16 février 2013

Histoire du Portugal en dix minutes


Le Portugal a été le premier pays d’Europe à réaliser son unité nationale.
Il a été le premier, au quatorzième siècle, à connaître une révolution «bourgeoise».
Il a été le premier à se lancer sur les océans.
Il est un des rares États d’Europe dont les frontières coïncident avec la frontière linguistique.
Les Suèves font de Portus Cale leur principale place forte. (Ve siècle)
Alphonse VI confie le comté de Portugal à Henri, fils du duc de Bourgogne, neveu d’Hugues le Grand, l’abbé de Cluny. (1095)
Afonso Henriques expulse sa mère qui cherchait à rattacher le Portugal à la Galice. (1128)
On assiste à une rapide disparition du servage, mais il y avait de nombreux esclaves, prisonnier musulmans essentiellement. L’esclavage se maintint longtemps après la Reconquête et dura sous des formes diverses jusqu’au dix-huitième siècle.
Sous Dinis, contemporain de Philippe le Bel, souverain qui manifesta des dons exceptionnels, pendant près d’un demi-siècle, le Portugal connut une des plus brillantes périodes de son histoire.
Il fonde à Lisbonne un embryon d’université pour éviter que les étudiants aillent à Salamanque ou à Paris. (1290)
Les professeurs et les étudiants abusèrent rapidement de leurs libertés et l’Estudo geral fut transféré à Coimbra.
Trente ans plus tard, pour les mêmes raisons, l’université retourna à Lisbonne. Etc.
Chacun se rappelle comment Afonso IV condamna à mort et fit exécuter Inês de Castro. (1355)
Devenu veuf, Jean Ier épousa la très jeune promise de son fils. (1383)
Don Nun’Alvares Pereira. (1360-1431)
Après la prise de Ceuta l’orientation des pensées de l’infant Don Henrique prit un nouveau cours. (1415-1460)
Pêro da Covilhã se rendit en Inde, longea la côte orientale africaine puis gagna la cour du Négus (1494) où il vécut plus de trente ans.
Albuquerque échoua dans son siège d’Aden, ce qui explique que les Portugais n’aient pu verrouiller l’océan Indien. (1513)
João III créa cinquante bourses d’étude au collège Sainte-Barbe à Paris. (1526)
Manuel, cédant à la pression des Rois catholiques, ordonna l’expulsion des juifs, mais il interdit également toute discrimination entre « vieux » et « nouveaux » chrétiens.
Le massacre anti-juif de 1506 mené par les dominicains témoigne d’une intégration difficile.
Le retour au judaïsme aurait été fréquent à la troisième génération de convertis.
Les inquisiteurs se plaignaient en 1620 de ce qu’un tiers des Portugais avait du sang juif.
Sébastien, petit-fils de João II et de Charles-Quint, neveu de Philippe II. (1557-1578)
4 août 1578.
La rencontre d’Alcãntara ouvrit en quelques minutes la capitale au roi d’Espagne Philippe II. (1580)
Les soulèvements populaires se multiplièrent avec l’apparition de faux Sébastiens.
Richelieu offrit aux Portugais son appui diplomatique et militaire. (1640)
La régente confia ensuite au comte de Schomberg le soin de réorganiser l’armée portugaise.
Le roi Afonso VI montra un dérèglement précoce des sens et de l’esprit. Dès son arrivée à la cour, la jeune reine, Marie-Françoise-Isabelle de Savoie constata le déséquilibre mental de l’époux qu’on lui imposait. (1666)
Le comte d’Ericeira laissa, par son suicide, une œuvre inachevée. (1690)
L’afflux de l’or du Brésil (1000 tonnes au cours du XVIIIe siècle) allait provoquer une inflation sans profit pour l’économie portugaise. Tandis que la rareté du numéraire fut un stimulant pour l’industrie locale dans l’intérieur, son abondance provoqua la stagnation des industries dans les zones côtières.
Au point de vue artistique et culturel le règne de João V fut grandiose. (1707-1750)
On peut citer l’insubordination des nobles, la grève des maçons, les manifestations antijudaïques, l’abandon de la discipline dans les couvents où les freiráticos menaient joyeuse vie, à l’exemple du monarque.
Pombal commençait ainsi une collaboration qui allait durer vingt-sept ans. (1699-1782)
Le ministre n’entendait pas abandonner le pays aux méfaits d’une trop grande liberté.
La grande affaire du règne fut la lutte contre les jésuites. Il réussit à les impliquer dans le complot de Távora et à conduire sur le bûcher le père Malagrida, d’ailleurs à moitié dément. (1761)
Le 1er novembre 1755 vers 6 h 30 du matin, alors que les habitants de la capitale étaient rassemblés dans les églises, eut lieu le tremblement de terre le plus violent de l’histoire moderne, suivi d’un raz-de-marée qui non seulement fit une dizaine de milliers de victimes, nombre qui peut être porté à 30000 ou 40000 si on compte les morts causées par la famine et l’épidémie, mais aussi détruisit la partie la plus riche et la plus ancienne de l’une des plus belles capitales de l’époque.
En 1761 Pombal décréta l’affranchissement des esclaves qui toucheraient le sol métropolitain.
En 1773 Pombal supprima toute distinction entre les «vieux» et les «nouveaux» chrétiens.
La Viradeira commença quand la reine Maria Ire ordonna d’ouvrir les prisons politiques. (1777)
Napoléon signa avec Godoy le traité qui partageait le territoire portugais entre la France et l’Espagne. (1807)
La légion portugaise se couvrit de gloire pendant la campagne de Russie. (1812)
Le duc d’Abrantès (Junot) dut quitter le territoire avec armes et bagages. (1808)
João VI continua à résider au Brésil et délégua ses pouvoirs au conseil de régence et au tout puissant Beresford. (1816)
La révolte couvait à Porto qui fut tout au long du XIXe siècle le point de départ de la plupart des révolutions.
Ainsi s’ouvrait une ère de luttes qui allait aggraver pendant trente ans le déclin du Portugal. (1820)
Cette réaction, ou cette involution, avait pour cause le ressentiment d’un peuple dont le pays était devenu la «colonie d’une colonie».
Pedro IV voulut donner une base légale à sa politique anticléricale. Joaquim Antonio de Aguiar, surnommé Mata Frades, par le décret du 28 mai 1834, supprima tous les ordres religieux
Une grande parie du patrimoine artistique et religieux fut donc laissé à l’abandon et au pillage.
Afin de soulager le Trésor, on écarta vite l’idée d’une redistribution des terres aux indigents.
Le gouvernement donna l’exemple quand il accorda à une puissante compagnie, dont Mouzinho était actionnaire, l’autorisation d’acheter les excellentes terres du Lezírias do Tejo et do Sado.
Mal conseillé par le roi de Belgique, Maria II aggrava les tensions. (1835)
Les chartistes voulaient le maintien de la Charte.
Sá da Bandeira abolit en 1836 la traite des esclaves.
Les lois sanitaires de Costa Cabral interdirent les sépultures dans les églises. (1846)
Sá da Bandeira débarqua en Algarve, Palmerston décida d’en finir. Ce diktat étranger fut durement ressenti. (1847)
Pendant longtemps, le chef du part «Regenerador» fut ce personnage fantasque, même dans sa vie amoureuse, de condotierre des temps modernes qu’était le duc João Carlos de Saldanha e Daun (1790-1876). Il émailla de ses incartades la vie politique un peu terne du Portugal.
Pedro V, premier souverain moderne du Portugal meurt mystérieusement à 24 ans. (1861)
Fut décrétée l’abolition de la peine de mort pour les crimes civils. (1867)
il y eut sous le règne de Luís Ier une de plus riches générations d’artistes et d’écrivains qu’ait connu le Portugal. (1861-1889)
Le 1er février 1908 Carlos Ier est assassiné, avec le prince héritier. Son épouse Amélie d’Orléans en réchappa de justesse.
Révolution. Le 5 octobre 1910, le Portugal devient le troisième État républicain d’Europe.
XXe siècle. Salazar. Révolution des Œillets. Etc.

D’après l’histoire du Portugal de Bourdon, parue dans la collection «Que sais-je» en 1970, rééditée, complétée aux éditions Chandeigne en 2010.

Sur le même mode, je vous ferai la littérature.


«Les Portugais ont découvert dans le Grand Océan de nouvelles îles, de nouvelles terres, de nouvelles mers, de nouveaux peuples; et ce qui est le plus important, un nouveau ciel et de nouvelles étoiles.»
Pedro Nunes, Traité de la Sphère, 1537.


vendredi 15 février 2013

Sur la patate


Celui-ci, connu depuis longtemps, on peut le traiter cavalièrement, par-dessus la jambe, ne pas répondre à ses mails, l’envoyer paître au téléphone, qu’importe, il sera toujours là, c’est un ami sûr, fidèle; et puis, il est si gentil.
Tel autre vient de rentrer dans notre vie, il a l’attrait de la nouveauté; et peut-être n’est-il pas commode, risque-t-il de disparaître vite; ménageons-le. Il faut être attentionné, lui faire des mamours. Il faut le séduire.

C’est trop humain tout ça.



N’est pas profanateur qui veut


Les Femen dans Notre-Dame.
À cette occasion on a ressorti l’affaire Mourre. (Cohérence: on en parlait la semaine dernière.) Un ami estime que l’acte de Mourre avait du «sens», de la gueule, était une «vraie» provocation (mais qu’est-ce qu’une fausse provocation?) alors que nos Femen ne sont que des pitres. Annie Ernaux raconte quelque part (ou plus exactement, ce n’est pas elle qui se rengorge de ce haut fait, mais son amant de l’époque) comment elle a fait l’amour dans l’église Saint-Sulpice face à l’immense fresque de Delacroix. Une amie, protestante antipapiste, m’a raconté comment elle avait fait une fellation au même endroit. Coïncidence? mimétisme? Je ne crois pas trop en ces vantardises. D’abord il y a trop de passage dans la chapelle des Anges. Est-ce donc une légende qui circule, que chacun s’approprie? Ou un fantasme qui fascine par son symbole? Saint-Sulpice a toujours été un bâtiment privilégié pour les anticléricaux de tous poils (les bobos d’entre les deux guerres: «les tours de Saint-Sulpice je pisse contre»; les situationnistes, etc.; ça doit être le quartier qui veut ça).
Toujours est-il que je ne suis pas choqué plus que ça par les seins nus des Femen à l’intérieur de Notre-Dame. On en a vu d’autres. Après tout, dissimulés par des bouts de tissu, chacun entre dans les églises avec ses ulcères, ses intestins malades, avec son âme indifférente, avec ses hypocrisies et son appareil photo, avec ses péchés. (Chaque dimanche matin, à Chartres, les Japonais photographient les fidèles comme ils font des tribus africaines ou des animaux rares des parcs zoologiques.) Les Femen ont abîmé les cloches, qu’elles paient les réparations. Ce qui me gêne le plus c’est leur manière d’être, leurs gestes inélégants, leurs bras lancés comme des battoirs; il y a en elles une pesanteur de mâles qui ne les rend pas séduisantes. Est-ce ces gros traits de feutres noirs qui leur barbouillent le torse, elles n’ont pas de belles poitrines. C’est là leur plus gros péché: elles ne sont pas sexys… Eh oui, elles sont de leur époque, et leurs corps révèlent leurs esprits: là où Mourre agissait par conviction, elles répètent une action qui a été jouée mainte fois et qui aujourd’hui, comme toute chose, n’est plus qu’un spectacle parodique. La joie est absente.
Les églises sont des lieux de vie où le tout de la vie a toujours pénétré, église consacrée ou pas. On a dû interdire d’y fumer dès la fin du dix-septième siècle; au moyen âge, certains nobles y entraient à cheval; les bulldozers sont entrés avec la bénédiction des autorités dans Saint-Jacques d’Abbeville la semaine dernière; dans  la cathédrale de Reims, lors d’un concert de Nico (vers 75), «my generation» abandonna tous ses détritus dans la nef, et ses mégots de shits derrière les colonnes.

Mais. Il y a que.
Ce que je n’oublie pas.
C’est le meurtre de Thomas Becket, et les 350 habitants d’Oradour brûlés vifs dans l’église de leur village le 10 juin 1944.


En ce qui concerne la démission du pape.
J’ai une qualité: ce qui s’est passé hier est aussi présent (ou aussi passé) pour moi que ce qui est survenu il y a mille ans, à la fois tout à fait disparu et vivant à jamais. Alors entre les Borgia à la Renaissance, les papes d’Avignon, toutes les vicissitudes de la papauté, à l’aune des siècles, je ne trouve pas la démission du pape «inouïe». On en a vu d’autres. On peut relire le tome VII de l’histoire de l’Église de Fliche et Martin, celui qui concerne le dixième siècle.
(NB à l’attention des gobe-mouches: la papesse Jeanne n’a jamais existé.)


jeudi 14 février 2013

Du cinéma


Extrait de la Correspondance de François Truffaut, parue aux éditions Hatier en 1988, puis en Livre de poche, il semblerait qu'elle soit épuisée. On trouve ces lettres, avec des variantes, sur plusieurs blogs.

Godard à Truffaut, mai 1973

J’ai vu hier La Nuit américaine. Probablement personne ne te traitera de menteur, aussi je le fais. Ce n’est pas plus une injure que fasciste, c’est une critique, et c’est l’absence de critique où nous laissent de tels films, ceux de Chabrol, Ferreri, Verneuil, Delannoy, Renoir, etc., dont je me plains. Tu dis: les films sont de grands trains dans la nuit, mais qui prend le train, dans quelle classe, et qui le conduit avec le “mouchard” de la direction à côté? Ceux-là aussi font les films-trains. Et si tu ne parles pas du Trans-Europ, alors c’est peut-être celui de banlieue, ou alors celui de Dachau-Munich, dont bien sûr on ne verra pas la gare dans le film-train de Lelouch. Menteur, car le plan de toi et de Jacqueline Bisset l’autre soir chez Francis n’est pas dans ton film, et on se demande pourquoi le metteur en scène est le seul à ne pas baiser dans La Nuit américaine. Je suis en train de tourner en ce moment un truc intitulé Un simple film, il montre de manière simpliste (à ta manière, celle de Verneuil, Chabrol, etc.), qui fait aussi les films, et comment ces “qui” le font. Comment ta stagiaire numérote, comment le mec d’Eclair porte des sacs, comment le vieux de Publidécor peint les fesses du Tango, comment la standardiste de Rassam téléphone, comment la comptable de Malle aligne les chiffres, et chaque fois, on compare le son et l’image, le son du porteur et le son de Deneuve qu’il porte, le numéro de Léaud sur sa chaîne d’image, et le numéro de s/sociale de la stagiaire non payée, la dépense sexuelle du vieux de Publidécor et celle de Brando, le devis de la vie quotidienne de la comptable et le devis de La Grosse Bouffe, etc. À cause des ennuis de Malle et de Rassam qui produisent gros (comme toi), le fric qui m’était réservé a filé dans le Ferreri (c’est ça que je veux dire, on ne vous empêche pas de prendre le train, mais vous, si), et je suis en panne. Le film coûte environ 20 millions et est produit par Anouchka et TVAB Films (la société de Gorin et moi)? Peux-tu entrer en coproduction pour 10 millions? Pour 5 millions? Vu La Nuit américaine, tu devrais m’aider, que les spectateurs ne croient pas qu’on fait des films que comme toi. Tu n’es pas un menteur, comme Pompidou, comme moi, tu dis ta vérité. Je peux en échange, si tu veux, t’abandonner mes droits de La Chinoise, du Gai Savoir, de Masculin Féminin.
Si tu veux en parler, d’accord,
Jean-Luc



Truffaut à Godard, mai-juin 1973

Jean-Luc. Pour ne pas t’obliger à lire cette lettre désagréable jusqu’au bout, je commence par l’essentiel: je n’entrerai pas en coproduction dans ton film.
Deuxièmement, je te retourne ta lettre à Jean-Pierre Léaud: je l’ai lue et je la trouve dégueulasse. C’est à cause d’elle que je sens le moment venu de te dire, longuement, que selon moi tu te conduis comme une merde.
En ce qui concerne Jean-Pierre, si malmené depuis l’histoire de la grande Marie et plus récemment dans son travail, je trouve dégueulasse de hurler avec les loups, dégueulasse d’essayer d’extorquer, par intimidation, du fric à quelqu’un qui a quinze ans de moins que toi et que tu payais moins d’un million lorsqu’il était le centre de tes films qui t’en rapportaient trente fois plus.
Certes, Jean-Pierre a changé depuis Les 400 Coups, mais je peux te dire que c’est dans Masculin Féminin que je me suis aperçu pour la première fois que de se trouver devant une caméra pouvait lui apporter l’angoisse et non la joie. Le film était bon et lui était bon dans le film, mais la première scène, dans le café, était oppressante pour quelqu’un qui le regardait avec amitié et non comme un entomologiste.
Je n’ai jamais formulé la moindre réserve sur toi devant Jean-Pierre qui t’admirait tant, mais je sais que tu lui as souvent balancé des saloperies sur mon compte, à la manière d’un type qui dirait à un gosse: «alors, ton père, il se saoule toujours la gueule?»
Jean-Pierre n’est pas le seul à avoir changé en 14 ans et si l’on projetait dans la même soirée À bout de souffle et Tout va bien, le côté à la fois désenchanté et précautionneux du second créerait la consternation et la tristesse.
Je me contrefous de ce que tu penses de La Nuit américaine, ce que je trouve lamentable de ta part, c’est d’aller, encore aujourd’hui, voir des films comme celui-là, des films dont tu connais d’avance le contenu qui ne correspond ni à ton idée du cinéma ni à ton idée de la vie. Est-ce que Jean-Edern Hallier écrirait à Daninos pour lui dire qu’il n’est pas d’accord avec son dernier livre?
Tu as changé ta vie, ton cerveau, et, quand même, tu continues à perdre des heures au cinéma à t’esquinter les yeux. Pourquoi? Pour trouver de quoi alimenter ton mépris pour nous tous, pour te renforcer dans tes nouvelles certitudes?
À mon tour de te traiter de menteur. Au début de Tout va bien, il y a cette phrase: «Pour faire un film, il faut des vedettes.» Mensonge. Tout le monde connaît ton insistance pour obtenir Jane Fonda qui se dérobait, alors que tes financiers te disaient de prendre n’importe qui. Ton couple de vedettes, tu l’as réuni à la Clouzot: puisqu’ils ont la chance de travailler avec moi, le dixième de leur salaire suffira, etc. Karmitz, Bernard Paul ont besoin de vedettes, pas toi, donc mensonge. La presse: on lui a “imposé” des vedettes… Autre mensonge, à propos de ton nouveau film: tu ne parles pas de la confortable avance sur recettes que tu as sollicitée, obtenue, et qui doit suffire même si Ferreri, comme tu l’en accuses drôlement, a dépensé l’argent qui t’était “réservé”. Alors, il se croit tout permis ce macaroni qui vient manger notre pain, ce travailleur immigré, il faut le reconduire à la frontière, via Cannes!
Tu l’as toujours eu, cet art de te faire passer pour une victime, comme Cayatte, comme Boisset, comme Michel Drach, victime de Pompidou, de Marcellin, de la censure, des distributeurs à ciseaux, alors que tu te débrouilles toujours très bien pour faire ce que tu veux, quand tu veux, comme tu veux et surtout préserver l’image pure et dure que tu veux entretenir, fût-ce au détriment des gens sans défense, exemple Janine Bazin. Six mois après l’histoire Kiejman, Janine s’est vu supprimer ses deux émissions, vengeance habilement différée. Kiejman, n’envisageant pas de parler du cinéma politique sans t’interviewer, ton rôle à toi — il s’agit bien d’un rôle — consistait là encore à entretenir ton image subversive, d’où le choix d’une petite phrase bien choisie. La phrase est prononcée; ou bien elle passe et elle est assez vive pour qu’on ne te soupçonne pas de mollir, ou bien elle ne passe pas et c’est épatant: décidément, Godard est toujours Godard, etc.
Tout se passe comme prévu, l’émission ne passe pas, tu restes sur ton socle. Personne ne relève que la phrase est un nouveau mensonge. Si Pompidou met en scène la France, toi, c’est le parti communiste et les syndicats que tu malmènes, sur le mode (trop indirect pour les “masses”) de la périphrase, de l’antiphrase et de la dérision, dans Tout va bien, film destiné, au départ, à la plus grande diffusion.
Si je me suis retiré du débat de Fahrenheit 451, à cette époque, c’était pour tenter d’aider Janine, pas par solidarité pour toi, c’est pourquoi je n’ai pas retourné le téléphone que tu m’as fait à ce moment.
Toujours est-il que le mois dernier, Janine était à l’hôpital, elle s’est fait renverser par une voiture au cours de sa dernière émission, opération du genou (elle boitait depuis l’adolescence, jerk, etc.) et elle se retrouve là, à l’hôpital, sans travail et sans fric et naturellement sans nouvelles de Godard qui ne descend de son socle que pour amuser Rassam de temps à autre. Alors je peux te dire: plus tu aimes les masses, plus j’aime Jean-Pierre Léaud, Janine Bazin, Patricia Finaly (elle sort de la clinique de sommeil, celle-là, et il faut harceler la cinémathèque pour obtenir ses six mois de salaire en retard), Helen Scott que tu rencontres dans un aéroport et à qui tu n’adresses pas la parole, pourquoi, parce qu’elle est américaine ou parce qu’elle est mon amie? Comportement de merde. Une fille de la BBC t’appelle pour que tu parles de cinéma politique dans une émission sur moi, je la préviens d’avance que tu refuseras, mais mieux que ça, tu lui raccroches au nez avant de la laisser finir sa phrase, comportement élitaire, comportement de merde, comme lorsque tu acceptes de te rendre à Genève, Londres et Milan, et que tu n’y vas pas, pour étonner, pour surprendre, comme Sinatra, comme Brando, comportement de merde sur un socle.
Pendant une certaine période, après mai 68, on n’entendait plus parler de toi ou alors mystérieusement: il paraît qu’il travaille en usine, il a formé un groupe, etc., et puis, un samedi, on annonce que tu vas parler à RTL avec Monod. Je reste au bureau pour écouter, pour avoir de tes nouvelles en quelque sorte; ta voix tremble, tu parais très ému, tu annonces que tu vas tourner un film intitulé La Mort de mon frère, consacré à un travailleur noir malade qu’on a laissé mourir au sous-sol d’une fabrique de téléviseurs et, en t’écoutant, malgré le tremblement de la voix, je sens: 1, que l’histoire n’est pas exacte, en tout cas trafiquée; 2 que tu ne tourneras jamais ce film. Je me dis: si le type avait une famille et que cette famille allait vivre désormais dans l’espoir que ce film soit fait? Il n’y avait pas de rôle pour Montand là-dedans ni pour Jane Fonda, mais pendant un quart d’heure, tu as donné l’impression de te “conduire bien” comme Messmer quand il annonce le droit de vote à 19 ans. Fumiste. Dandy. Tu as toujours été un dandy, quand tu envoyais un télégramme à de Gaulle pour sa prostate, quand tu traitais Braunberger de sale juif au téléphone, quand tu traitais Chauvet de corrompu (parce qu’il était le dernier, le seul à te résister), dandy quand tu pratiques l’amalgame: Renoir-Verneuil, blanc bonnet et bonnet blanc, dandy encore aujourd’hui quand tu prétends que tu vas montrer la vérité sur le cinéma, ceux qui le font obscurément, mal payés, etc.
Quand tu faisais équiper un décor, garage ou boutique par les électros et que tu arrivais: «je n’ai pas d’idée aujourd’hui, on ne tourne pas», et que les types déséquipaient, il ne t’est jamais venu à l’idée que les ouvriers se sentaient complètement inutiles et méprisés, comme l’équipe de son qui attendait vainement Brando dans l’auditorium vide à Pinewood, tout une journée?
Maintenant, pourquoi est-ce que je te dis cela aujourd’hui et non pas il y a trois, cinq ou dix ans?
Pendant six ans, comme tout le monde, je t’ai vu souffrir à cause d’(ou pour) Anna et tout ce qui était odieux en toi, on le pardonnait à cause de ta souffrance.
Je savais que tu avais entrepris Liliane Dreyfus (ex-David) en lui disant: «François ne t’aime plus, il est amoureux de Marie Dubois, qui joue dans son film», et je trouvais ça pitoyable mais émouvant, oui, pourquoi pas, émouvant, à la limite! Je savais que tu allais voir Braunberger en lui disant: «Faîtes-moi faire le sketch que Rouch doit tourner, à sa place» et je trouvais ça… disons, pathétique. Je me promenais avec toi sur les Champs-Élysées et tu me disais: «il paraît que Bébert et l’Omnibus ne marche pas, c’est bien fait», et je disais: «Allons, allons…»
À Rome, je me suis fâché avec Moravia parce qu’il m’a proposé de tourner Le Mépris, j’étais venu là, avec Jeanne, présenter Jules et Jim, ton dernier film ne marchait pas, Moravia voulait changer de cheval.
Pour les mêmes raisons de solidarité avec toi, je me suis fâché avec Melville qui ne te pardonnait pas de l’avoir aidé à faire Léon Morin prêtre, et qui cherchait à te nuire. À la même époque, tu humiliais Jeanne volontairement — ou pour faire plaisir à Anna (histoire d’Eva), tu tentais un dérisoire chantage sur Marie-France Pisier (Hossein, la Yougoslavie… à répétition… “l’alliance”), etc. Tu as fait tourner Catherine Ribeiro que je t’avais envoyée, dans Les Carabiniers, et puis tu t’es jeté sur elle, comme Charlot sur sa secrétaire dans Le Dictateur (la comparaison n’est pas de moi), j’énumère tout cela pour te rappeler de ne rien oublier dans ton film de vérité sur le cinéma et le sexe. Au lieu de montrer le cul de X… et les jolies mains d’Anne Wiazemsky sur la vitre, tu pourrais faire le contraire maintenant que tu sais que, pas seulement les hommes, mais les femmes aussi sont égales, y compris les actrices. Chaque plan de X… dans Week-end était un clin d’œil aux copains: cette pute veut tourner avec moi, regardez bien comment je la traite: il y a les putes et les filles poétiques.
Je te parle de tout ça aujourd’hui parce que, tout de même, malgré le dandysme assombri d’un peu d’aigreur qui transparaissait encore dans certaines déclarations, je pensais que tu avais pas mal changé, je pouvais penser cela avant de lire la lettre destinée à Jean-Pierre Léaud. Si tu l’avais cachetée, peut-être as-tu voulu me donner une chance de ne pas la lui remettre?
Aujourd’hui tu es fort, tu es censé être fort, tu n’es plus l’amoureux qui souffre, comme tout le monde tu te préfères et tu sais que tu te préfères, tu détiens la vérité sur la vie, la politique, l’engagement, le cinéma, l’amour, tout cela est bien clair pour toi et quiconque pense différemment est un salaud, même si tu ne penses pas en juin la même chose qu’en avril. En 1973, ton prestige est intact, c’est-à-dire que lorsque tu rentres dans un bureau, on regarde ton visage pour voir si tu es de bonne humeur ou s’il vaut mieux rester dans son coin; parfois tu acceptes de rire ou de sourire; le tutoiement a remplacé le vouvoiement, mais l’intimidation demeure, l’injure facile aussi, le terrorisme (cette façon de faire de la lèche à rebours). Je veux dire que je ne me fais pas de soucis pour toi, il y a encore à Paris assez de jeunes gens fortunés, complexés d’avoir eu leur première voiture à dix-huit ans, qui seront heureux de se dédouaner en disant: «je produis le prochain Godard.»
Quand tu m’as écrit, fin 68, pour me réclamer 8 ou 900 mille francs qu’en réalité je ne te devais pas (même Dusssart était choqué!) et que tu as ajouté: «de toute façon, nous n’avons plus rien à nous dire», j’ai pris tout ça au pied de la lettre; je t’ai envoyé le fric et, hormis deux moments d’attendrissement (un sur moi malheureux en amour, un sur toi à l’hôpital), je n’ai plus rien éprouvé pour toi que du mépris, quand j’ai vu dans Vent d’est la séquence: comment fabriquer un cocktail Molotov et qu’un an plus tard, tu t’es dégonflé quand on nous a demandé de distribuer, pour la première fois, La Cause du peuple dans la rue…
L’idée que les hommes sont égaux est théorique chez toi, elle n’est pas ressentie, c’est pourquoi tu ne parviens pas à aimer qui que ce soit, ni à aider qui que ce soit, autrement qu’en jetant quelques billets sur la table. Un type, genre Cavanna, a écrit: «il faut mépriser l’argent, surtout la petite monnaie», et je n’ai jamais oublié comment tu te débarrassais des centimes en les glissant derrière les banquettes des bistrots. Contrairement à toi, je n’ai jamais prononcé une phrase négative à ton propos, à la fois parce que tu étais attaqué bêtement et plutôt “à côté” des vraies choses, ensuite parce que j’ai toujours détesté les brouilles entre écrivains ou peintres, règlements de compte douteux par l’intermédiaire du papier journal, ensuite parce que je t’ai toujours senti à la fois jaloux et envieux, même dans tes bonnes périodes — tu es super compétitif, moi presque pas — et puis il y avait, de ma part, de l’admiration, j’ai l’admiration facile, tu le sais, et une volonté d’amitié depuis que tu t’étais attristé d’une phrase que j’avais dite à Claire Fischer à propos du changement de nos rapports après l’armée (pour moi) et la Jamaïque (pour toi). Je n’affirme pas beaucoup de choses parce que je ne suis jamais tout à fait sûr que l’idée inverse n’est pas aussi juste, mais, si j’affirme que tu es une merde, c’est qu’en voyant Janine Bazin à l’hôpital, ta lettre à Jean-Pierre, là il n’y a pas de place pour le doute sur ce point. Je ne délire pas, je ne dis pas que Janine était à l’hôpital à cause de toi, mais son chômage, après dix ans de TV, est directement lié à toi qui n’en as rien à foutre. Amateur de gestes et de déclarations spectaculaires, hautain et péremptoire, tu es toujours en 1973 installé sur ton socle, indifférent aux autres, incapable de consacrer quelques heures désintéressées pour aider quelqu’un. Entre ton intérêt pour les masses et ton narcissisme, il n’y a place pour rien ni pour personne. Qui te traitait de génie, quoi que tu fasses, sinon cette fameuse gauche élégante qui va de Susan Sontag à Bertolucci via Richard Roud, Alain Jouffroy, Bourseiller, Cournot et même si tu paraissais imperméable à la vanité, à cause d’eux tu singeais les grands hommes: de Gaulle, Malraux, Clouzot, Langlois, tu entretenais le mythe, tu renforçais le côté ténébreux, inaccessible, tempéramental (comme dirait Scott), laissant s’installer tout autour de soi la servilité. Il te faut jouer un rôle et que ce rôle soit prestigieux; j’ai toujours eu l’impression que les vrais militants sont comme des femmes de ménage, travail ingrat, quotidien, nécessaire. Toi, c’est le côté Ursula Andress, quatre minutes d’apparition, le temps de laisser se déclencher les flashes, deux, trois phrases bien surprenantes et disparition, retour au mystère avantageux. Au contraire de toi, il y a les petits hommes de Bazin à Edmond Maire en passant par Sartre, Bunuel, Queneau, Mendès France, Rohmer, Audiberti, qui demandent aux autres de leurs nouvelles, les aident à remplir une feuille de sécurité sociale, répondent aux lettres, ils ont en commun de s’oublier facilement et surtout de s’intéresser davantage à ce qu’ils font qu’à ce qu’ils sont et qu’à ce qu’ils paraissent.
Maintenant, tout cela qui s’écrit doit pouvoir se dire, c’est pourquoi je termine comme toi: si tu veux en parler, d’accord.
François