samedi 27 juin 2015

27 juin


Dites-moi franchement, suis-je si inintelligent et si pesant ? Parfois on me tolère, on est gentil, on accepte la corvée de ma présence. Je ne me supporte pas, comment me supporterait-on ? C’est pour cela que je suis parti en exil. 



lundi 22 juin 2015

Mac Orlan: La Cavalière Elsa



« On imagine l’emplacement sombre de cette ville un peu comme une poubelle immense, en fer-blanc surchauffé, où des géraniums géants aux pétales épais ainsi que des biftecks achevaient de se décomposer comme de la viande. »



« Pas de fantaisie dans les pays où les mitrailleuses font partie de l’ornementation des rues. Pas de fantaisie, mais de la souplesse, et surtout ne pas oublier de rentrer le ventre en s’effaçant le long des murs. »



« Rien ne donne du caractère à une cité comme l’usage de la mitrailleuse. C’est précis, définitif et très pittoresque, instructif également. »



« Il ne faut pas traiter le décor où se jouera un drame social d’un militarisme embrouillé avec la négligence qu’on apporte en parlant de l’automne, qui, en dehors des quelques souvenirs de Jules Laforgue, n’encadre que les jeunes filles poitrinaires. »



« L’été paresseux et érotique exalte la grande passion des chemineaux et rend craintives les fillettes légèrement vêtues. »



« Il connaissait tous les pièges que la littérature combinée avec l’immoralité peut tendre aux hommes. »



« Chacun de nous, visitant des palais nationaux où toute la fantaisie artistique d’un peuple s’est plu à distribuer les embellissements, recherchera toujours le petit coin mystérieux où l’on retrouve sur la muraille ou sur le tapis du plancher, la classique tache de sang. »



« Le badinage avec une adolescente souple est un sport. »



« Ce sont les livres qui donnent à la vie son cours normal. Ils s’imposent à nos actes, à nos gestes, à nos peines, à nos plaisirs. Il est impossible de concevoir la vie sans les livres, elle se résorberait et finirait pas disparaître. »



« La journée s’écoulerait bêtement et lentement, comme une rivière sans poissons devant l’ombre d’un pêcheur à la ligne. »



« Il devenait de plus en plus difficile d’établir une différence entre un homme intelligent et un imbécile. »



« Autrefois — elle se rappelait nettement la diversité charmante qui embellissait la vie — avec un peu d’argent et une toute petite personnalité un homme se distinguait d’un autre homme et l’échelle des nuances, en allant de bas en haut ou de haut en bas, variait les rapports sociaux à l’infini. »



« Il se tourna vers l’aimable silhouette de sa maîtresse et la digestion, en lui mettant le sang aux oreilles, lui permit d’imaginer des jeux amoureux, de quoi faire passer le temps, une heure, deux heures peut-être. »



« Tirant derrière soi un petit tapis pelé, il s’allongeait devant sa glace et, couché sur le dos, il s’efforçait de maigrir, malgré la résistance de la graisse protestant contre ce traitement. »



« Il inscrivait sur un cahier d’écolier l’adresse de tous les bordels du monde. Une indication de prix donnait à ce travail un semblant d’utilité. … ce chef-d’œuvre ne fut pas appelé à disparaître : des mains pieuses en avait grossoyé des copies. »



« Il est évident qu’il est inutile d’aller dans des maisons où l’on se sent chez soi, autant ne point franchir le seuil de sa propre porte. »



« “Si l’électricité devient une force intelligente et naturellement rebelle, nous sommes fichus.” »



« “Je ne mettrai plus de jargon dans mes livres… Cette langue vieillit trop vite et n’est praticable que pour ceux qui l’emploient quotidiennement sans prétention littéraire. Ses formes éphémères se décomposent le soir de leur naissance ; tel le parfum délicat d’une fleur au matin s’achève immédiatement à la voirie dans l’odeur de la pourriture. »



« — il faut être pour quelque chose ou pour quelqu’un !

— Je suis, en ce moment, en ce moment seulement, je vous prie de faire attention à cette nuance, je suis pour les choux bien pommés, le pot-au-feu suspendu à la gribouille, la tarte chaude et le vin clairet…

— Vous êtes opportuniste alors ! »



« Vous devez sentir que nous nous trouvons en présence de ces fantaisies historiques devant lesquelles les hommes les plus distingués sont priés de ne point donner d’avis. La situation est ainsi parce qu’elle est ainsi ; nous n’y pouvons rien l’un et l’autre. Il faut laisser la nature agir ; dans quelques années l’eau troublée redeviendra calme et la vase restera comme toujours au fond. »



« Prise en tranches minces la peur peut devenir une volupté. »



« Autour de vous, d’appartements en appartements, de paliers en paliers, des larves attendent la minute propice aux dénonciations et aux meurtres. Les révolutions, examinées du point de vue purement individuel, dépouillées de leurs orateurs et de leurs drapeaux jamais définitifs, ne sont que le triomphe du commérage. Rien au monde ne peut vous défendre contre des voisins que vous ne connaissez pas. »



« Ils visitaient les musées et regardaient dans tous les coins, en ayant l’air d’étudier la meilleure place afin d’y mettre le feu. »



« Entre les anciennes lois, maintenant abolies, et les nouvelles élaborations un peu hâtives, les instincts de la foule maintenait la tradition. »



« Toutes les filles du peuple sont mystérieuses en ce moment… La révolution est ainsi que l’explosion d’un volcan abyssal : le fond de la mer avec sa faune remonte à la surface. À cette heure, autour de nous, des milliers de poissons sans yeux remontent à la surface et cherchent désespérément leurs satisfactions quotidiennes. »



« Le partage des terres entre paysans du même village, malgré les efforts des commissaires du peuple, les fêtes alternant avec des exécutions capitales, les dénonciations calomnieuses et les tueries communales, s’annonçait, de jour en jour, comme une tâche de plus en plus décourageantes. »



« Il faut, si nous voulons demeurer vainqueurs, dissimuler les forêts elles-mêmes sous des toiles largement illustrées d’animaux décoratifs peints par nos artistes les plus résolus. »



Daniel Masclet: La Cavalière Elsa 





dimanche 21 juin 2015

… et les pauvres hommes toujours…


« Les femmes, toutes les femmes ou presque, me semblaient agréables. Certaines étaient jolies; je les accompagnais des yeux, leur demandant de trahir par un geste des formes moins visibles ou de me révéler, par je ne sais quel subtil et furtif échange, le charme qui devait émaner de leur intimité. Sous les fourrures, la jaquette d’un tailleur, les jupes aux plis seyants, le corps m’apparaissait. J’associais le mouvement des hanches à la tendre élasticité des cuisses, à leur rondeur émouvante, leur tiédeur animale. J’en avais un fourmillement au bout des doigts et une image pleine de molles délices s’insinuait dans mon esprit… » 
Francis Carco

jeudi 11 juin 2015

La promesse


C’est la première fois depuis cinq ans que je parviens à écrire une petite histoire. Bien courte, certes, modeste.

Ils se sont connus à la petite école. Ils ont grandi ensemble.
Elle épousa un milliardaire qui avait le double de son âge.
Par un beau soir d’été, sous une tonnelle, elle lui dit : Quand je serai veuve je t’épouserai. Il s’éloigna le long de la balustrade, le front studieux.
Chaque matin il pria pour que le milliardaire ne meure pas.
Le milliardaire mourut, très vieux. 
Par un beau soir, sous une autre tonnelle, il fit allusion à ce qu’elle lui avait dit autrefois. Mais mon petit chéri, je ne me rappelle même pas, c’était pour rire ! Il fit quelques pas sur la terrasse. Il s’éloigna le dos courbé. Il lui restait de longues années à vivre.